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« Pensez à quelque chose qui vous plaît, une odeur, respirez calmement. » Dans un des blocs opératoires de l’hôpital Saint-Joseph, à Paris, ce mardi 14 janvier au matin, le docteur Marc Galy, anesthésiste, parle doucement à Hocine Ayyati, âgé de 78 ans, qui doit subir l’opération d’une artère carotide. De façon répétitive, il lui suggère de respirer, de ne rien faire, d’être là. « On peut s’imaginer quelque part, à une terrasse de café, ou ailleurs, dans un aéroport, tout est possible, on va regarder les gens passer », suggère le médecin, qui commence l’anesthésie locale et continue de parler au patient.

Pendant ce temps, l’équipe médicale se prépare. Le docteur Galy répète plusieurs fois la même chose, c’est l’hypnose par confusion. M. Ayyati semble détendu. « Le patient est totalement conscient. Il est entré en hypnose, dans un état de conscience modifié », nous explique le docteur Galy. Trente minutes plus tard, le chirurgien Samy Anidjar arrive. Tout au long de l’intervention, le docteur Galy surveille les constantes, ne quitte pas son patient. « Ça tire un peu… », dit celui-ci au milieu de l’opération. De l’autre côté du drap bleu, le cou est incisé sur une dizaine de centimètres, l’équipe enlève les plaques d’athérome obstruant l’artère. Opération délicate. Front contre front, l’anesthésiste susurre doucement à l’oreille de M. Ayyati lorsque celui-ci pose une question, et le patient répond lorsqu’il est sollicité.

PLUSIEURS MOIS D’ATTENTE DANS LES CONSULTATIONS À L’HÔPITAL

L’opération est terminée, elle aura duré près de deux heures. Sourire aux lèvres, M. Ayatti se sent bien. Il n’a pas retenu les mots fleuris et autres jurons de l’équipe soignante qui ont émaillé par instants l’intervention. Le lendemain, il ne se souvient que « du tour du monde que l’on a fait tous les deux », dit-il à son anesthésiste. A l’hôpital Saint-Joseph, la quasi-totalité des opérations des carotides (130 par an) sont réalisées sous hypnose. Et, depuis quelques mois, la mise en place des endoprothèses aortiques par voie percutanée pour anévrisme peut bénéficier de la même prise en charge.

L’intérêt pour l’hypnose va croissant, tant chez les patients que chez les soignants. Elle s’installe dans les hôpitaux, les maternités… avec souvent plusieurs mois d’attente dans les consultations à l’hôpital. On compte 12 000 publications sur l’hypnose dans la base de données en ligne Medline, alors qu’on n’en dénombrait qu’une cinquantaine il y a quinze ans, note le docteur Jean Becchio, médecin en soins palliatifs à l’hôpital Paul-Brousse (Villejuif), directeur du diplôme universitaire d’hypnose clinique à Paris-XI et président de l’Association française d’hypnose médicale.

« MESMÉRISME » OU « MAGNÉTISME ANIMAL »

La pratique médicale n’a rien à voir avec son image dans le grand public, souvent fantaisiste, véhiculée par le cinéma ou la littérature. Comme le python Kaa, dans Le Livre de la jungle, de Rudyard Kipling, qui tente d’hypnotiser Mowgli en lui susurrant d’une voix chantante : « Aie confiance… » Sans parler du music-hall, avec le succès de l’hypnotiseur québécois Messmer (pseudonyme inspiré du nom de Franz-Anton Mesmer, médecin allemand du XVIIIe siècle, précurseur de l’hypnotisme). Pratique ancienne, l’hypnose a d’ailleurs d’abord été popularisée sous le nom de « mesmérisme » ou « magnétisme animal ». Elle a été condamnée à deux reprises par les autorités médicales : par l’Académie royale, en 1782, et par l’Académie de médecine, en 1812. Après une période de déclin, elle est redevenue à la mode, grâce aux travaux de Jean-Martin Charcot (1825-1893) à la Salpêtrière, dans l’étude de l’hystérie, et d’Hippolyte Bernheim (1840-1919) à Nancy à la fin du XIXe siècle.

De nouveau tombée en disgrâce, elle réapparaît dans les années 1960 aux Etats-Unis, grâce au psychiatre Milton Erickson (1901-1980), et dans les années 1980 en France grâce à Léon Chertok (1911-1991) et François Roustang. « Encombrée de préjugés vivaces, l’hypnose continue à questionner la médecine, mais elle revient en force », souligne le docteur Jean-Marc Benhaiem, responsable du DU d’hypnose à Paris-VI. Les thérapies de pleine conscience ou la sophrologie sont souvent considérées comme ses « cousines ».

Comment la définir ? Dérivée du mot grec hypnos, « le sommeil », l’hypnose désigne, au contraire, un état de conscience modifié n’appartenant ni au rêve ni au sommeil, un état naturel, comme lorsqu’on s’évade, qu’on est totalement absorbé par une musique, une image… qu’on fait un trajet et qu’on ne s’en souvient pas. « Cela consiste à l’activation, spontanée ou induite, de certaines zones du cerveau, par des images, des suggestions », indique le docteur Becchio.

UTILISATION DE L’HYPNOSE EN ANESTHÉSIE MODERNE DÈS 1992

C’est la professeure Marie-Elisabeth Faymonville, chef du service d’algologie – soins palliatifs au CHU de Liège et chargée de cours à l’université de Liège, qui a, la première, relancé l’utilisation de l’hypnose en anesthésie moderne, en 1992. Depuis, environ 9 000 interventions de ce type ont été réalisées dans cet établissement. L’anesthésie générale n’y a été utilisée que pour 18 patients. Marie-Elisabeth Faymonville a modélisé le principe de l’« hypnosédation », qui consiste à associer l’hypnose et de très faibles doses d’antidouleur. Aujourd’hui, environ un tiers de la cinquantaine d’anesthésistes du CHU de Liège sont formés à cette technique. Une formation spécifique pour l’utilisation de l’hypnose dans un contexte de douleur y est proposée ; au total, 423 soignants issus de différents pays d’Europe ont été formés depuis 1994.

En anesthésie, l’hypnose permet, en effet, de réduire l’inconfort et les médicaments. Ainsi le docteur Galy diminue-t-il les doses de sédatif ou d’analgésique en anesthésie locale. Le retour au domicile et à une activité professionnelle est plus rapide. De plus, pour l’artère carotide, « la chirurgie sous anesthésie locale permet de surveiller l’état neurologique du patient durant toute l’intervention, en particulier au moment du “clampage carotidien” [pendant l’acte de réparation de l’artère malade]. Les accidents neurologiques surviennent principalement vers la troisième minute. Le fait de maintenir le patient éveillé permet de prévenir ces accidents », explique le chirurgien Samy Anidjar. Les patients, parce qu’on s’intéresse à eux, qu’une personne leur parle pendant les soins, sont plus détendus et ont le sentiment d’être mieux pris en charge. Cet outil renforce l’effet des médicaments.

SOULAGER LES DOULEURS AIGUËS

Outre l’anesthésie, l’hypnose est utilisée pour soulager les douleurs aiguës (grands brûlés…). Ses indications se sont également étendues aux douleurs chroniques (migraines, lombalgies, douleurs cancéreuses…), puis aux dépressions, phobies, troubles du comportement alimentaire, troubles sexuels, insomnies, stress, addictions, arrêt du tabac… L’hypnose est aussi utile pour les douleurs dites fantômes (de membres amputés ou paralysés). Les enfants y sont plus réceptifs, explique le docteur Chantal Wood, qui a démocratisé l’hypnose à l’hôpital Robert-Debré, puis a rejoint, fin 2013, le centre de lutte contre la douleur du CHU de Limoges.

« J’ai vu en consultation une jeune fille de 15 ans qui avait appris neuf mois plus tôt, de façon très brutale, la mort de son meilleur ami par accident, raconte le docteur Catherine Bouchara, responsable d’une consultation d’hypnose médicale au Pavillon de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Depuis, elle souffrait de trichotillomanie, s’arrachant les cheveux de façon compulsive. Au cours d’une première séance, nous avons évoqué le contexte. A la deuxième, en état hypnotique, elle m’a dit : “Un lien a été coupé.Nous avons parlé des liens, ce qui se noue et se dénoue… En sortie de séance, elle était dans un état d’apaisement, de confiance… L’histoire est en cours de résolution. »

AMÉLIORER SA QUALITÉ DE VIE

Cet état de conscience modifiée permet d’activer ses ressources, de porter son attention sur un événement agréable pour diminuer les sensations de stress. Ce lundi 13 janvier, au CHU de Liège, six femmes âgées de 35 à 65 ans, touchées par un cancer du sein, participent ainsi à une première session de deux heures sur l’hypnose. Il s’agit d’un projet de recherche. Elles auront six séances, une tous les quinze jours. Animés par la professeure Faymonville, ces groupes ont démarré en 2013. Il y aura 120 participantes en tout.

« La façon dont l’hypnose est proposée au patient est très importante », insiste la professeure Faymonville. La première session consiste à donner des tâches aux participantes, qui ne connaissent que peu ou pas l’hypnose. « L’étude m’a été présentée comme un outil pour apprendre à être bienveillante envers moi-même », explique Valérie Loriaux, mère de trois enfants. Très tournée vers des techniques complémentaires de la médecine classique, cette femme de 45 ans se dit convaincue que l’hypnose peut aider à améliorer sa qualité de vie. Dès la deuxième session, la professeure Faymonville proposera des exercices d’autohypnose, qui permettent de la pratiquer de façon autonome. De même, dans le cadre du traitement de la douleur chronique, huit séances de deux heures en deux ans sont proposées à des patients.

« Avec l’autohypnose, l’objectif est de rendre le patient plus autonome. Cela a aussi des effets positifs sur l’observance du traitement », indique Grégory Tosti, praticien au centre d’évaluation et du traitement de la douleur à l’hôpital Ambroise-Paré (Boulogne-Billancourt). Il propose en moyenne cinq à dix séances en consultation, de l’autohypnose ensuite, puis une consultation une à deux fois par an.

CONSULTATIONS SUR LA MÉMOIRE

Le personnel médical aussi a recours à l’hypnose pour se sentir mieux et éviter le burn-out. Une étude coordonnée par le CHU de Nîmes a démarré fin 2013 auprès de 400 soignants. Des tests sont réalisés au début de la formation, à la fin et six mois plus tard. Les résultats préliminaires seront présentés en août 2015, lors du congrès de la Confédération francophone d’hypnose et de thérapies brèves et de la Société internationale d’hypnose.

De même, à Aix-en-Provence, c’est tout l’hôpital qui se convertit à l’hypnose. Une soixantaine de professionnels ont été ou seront formés d’ici à la fin de l’année. La formation est financée pour moitié par la Fondation Apicil contre la douleur. « Le but est une meilleure prise en charge des patients douloureux », explique le docteur Delphine Baudoin, neurologue, responsable de l’unité douleur du centre hospitalier du pays d’Aix, qui mène ce projet depuis 2010. « Cet outil permet de remettre la relation thérapeutique au premier plan, ce qui apporte un bien-être pour les équipes », constate le docteur Baudoin. C’est aussi utile pour les patients qui ne peuvent pas prendre de médicaments en raison de leurs effets secondaires.

« DIMINUER LA PRISE DE PSYCHOTROPES ET D’HYPNOTIQUES »

La gériatrie fait aussi appel à l’hypnose. Le docteur Aurore Burlaud, de l’hôpital Paul-Brousse (Villejuif), a commencé des consultations sur la mémoire en mars 2013, ouvertes aux malades comme aux « aidants ». « Un patient se plaignait du “manque du mot” ; je lui ai proposé de faire mentalement du ski, sport qu’il adore, et de refaire quelques virages à chaque fois qu’il bloquait sur un mot, relate le docteur Burlaud. Cela a fonctionné. » Il faut essayer de trouver le canal sensoriel qui va fonctionner, de détourner l’attention. « L’idée est aussi de diminuer la prise de psychotropes et d’hypnotiques », explique-t-elle.

Certes, tout le monde n’est pas « éligible » à l’hypnose ; il y aurait 5 % à 10 % de résistants. Elle est aussi contre-indiquée lors de graves troubles de la personnalité – le contexte même où Charcot l’utilisait ! Certains patients sont assez sceptiques à la première consultation mais adhèrent ensuite, comme les patients ayant eu un accident cardio-vasculaire, selon le docteur Alain Cassagnau, qui leur propose des consultations à l’hôpital de Nemours.

Des praticiens y sont réticents. Pourtant, souligne le docteur Galy, « cette technique a un atout supplémentaire : elle entre dans le concert actuel de réduction des dépenses de santé, puisqu’elle réduit la prescription de médicaments et les durées d’hospitalisation ». Un message qui devrait plaire à la ministre de la santé, Marisol Touraine.